Un code de déontologie ?
Dans une époque marquée par les développements technologiques et surtout par la perte de repères, bien des professions ont souhaité baliser leurs pratiques à l’aide d’un code de déontologie. Alors pourquoi pas l’enseignant ? Ne s’agit-il pas d’un métier qui, par sa dimension humaine, relationnelle et formative nous confronte à bien des situations équivoques, difficiles ?
Je ne crois pas à un code de déontologie de l’enseignant qui ne serait qu’une suite de recettes toutes faites pour les situations conflictuelles et complexes auxquelles un professeur sera confronté durant sa carrière. Je crois plutôt qu’un code de déontologie enseignant devrait, par l’analyse des valeurs qui irriguent le champ scolaire, par la présentation des décrets sur lesquels repose son organisation, par la présentation des différents acteurs, de leurs droits et devoirs, permettre à chaque enseignant de prendre le recul nécessaire en situation de crise, de se poser à chaque instant en acteur réflexif, en praticien soucieux de se remettre en question et de toujours s’attacher au sens de ce qu’il fait, dit, provoque. Un code de déontologie m’apparaît d’autant plus utile en ces temps de judiciarisation et de technicisation intense de l’école. L’envahissement de la règle de droit, les multiples exigences pédago-didactico-socio-psychologiques compliquent la tâche de l’enseignant. Les droits et devoirs croisés des acteurs (parents, collègues, élèves, direction) sont autant d’éléments en entraînant une complexification croissante.
Et que dire du ressenti de la société, de ses critiques, de ses déceptions et attentes souvent excessives… Un code de déontologie, fixé par des pairs, pensé dans une optique de clarification des situations les plus couramment rencontrées, pourrait apparaître comme une protection offerte à l’enseignant dans un monde sans cesse marqué du sceau de l’incertitude mais aussi, à l’extérieur, comme une identité forte de la profession. Mieux que n’importe quel article de loi, il rendrait compte de l’extrême difficulté, mais aussi essentialité de ce métier trop souvent décrié et permettrait parfois de séparer l’enseignant indigne de sa fonction de celui qui cherche à mieux exécuter une mission dont aucune société moderne ne peut se passer : faire entrer dans le monde celles et ceux qui le transformeront et l’amélioreront.
Dans cette conception, ce code nous protégera tant d’une dérive techniciste que du contrôle qui laisserait à penser qu’il suffise de maîtriser quelques recettes toutes faites pour s’assurer de la légitimité de ses actes. Il est évident que l’on ne pourra jamais évacuer la part de la qualité de la relation dans l’acte pédagogique, une qualité qui tient justement à l’implication de l’enseignant dans ses actes professionnels, son droit à une certaine authenticité. Je cite : « Être sincère envers moi-même signifie être fidèle à ma propre originalité, et c’est ce que je suis seul à pouvoir dire et découvrir. En le faisant, je me définis du même coup. Je réalise une potentialité qui est proprement mienne. Tel est le fondement de l’idéal d’authenticité. »1. Il restera toujours à l’enseignant l’obligation d’exercer cette capacité la plus élevée, donnée à tout être humain, de « juger » et d’adapter son comportement. Cette « liberté » que l’on peut associer à de l’autonomie n’est aucunement un obstacle à la rédaction d’un code. J’ose dès lors croire qu’un code serait plutôt un cadre posé ouvrant à une autonomie responsable de l’enseignant, un véritable travail du sens ultime de sa fonction, sa tâche, sa mission, bref, de sa raison d’être… Un code qui l’aiderait à trouver en lui-même une réponse reconnue par la collectivité, un enseignant restant par là authentique.
Philippe ANSELIN
Directeur de l’Institut saint-Joseph de Charleroi
1. Taylor, C., Le malaise de la modernité, Paris, Le Cerf, Coll. « Humanités », 1994, p.37.